Freeman
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« le: Jeu. 08 Sept. 2005, 13:50:36 » |
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Rien à voir mais un sujet qui tient à coeur à beaucoup d'entr nous : un article dans Télérama.
"Noir Désir n'est pas mort" Deux ans après le drame de Vilnius, les rockers bordelais brisent le silence et sortent un album live. L'occasion d'évoquer avec eux leur vie de musiciens sans Bertrand Cantat.
Enregistrer un disque en public, pour tout groupe de rock d'envergure, relève presque de la routine. Sauf que là, il s'agit de Noir Désir. Personne n'a oublié les tragiques événements de Vilnius, capitale de la Lituanie où, en juillet 2003, Bertrand Cantat, chanteur de Noir Désir, tua sa compagne Marie Trintignant au cours d'une violente dispute. Le drame, passionnel, fit la une des journaux. Et Noir Désir se retrouva projeté sur le devant d'une scène médiatique en décalage total avec l'image que le groupe a toujours renvoyée. Intègre, intransigeant sur ses choix artistiques, militant actif aux combats multiples (soutien aux travailleurs immigrés, sympathie pour la cause palestinienne, lutte contre le Front national...), le quartette bordelais a participé aux forums altermondialistes au côté de José Bové ou manifesté en compagnie de ses amis de Zebda, mais n'a jamais été photographié dans les soirées show-biz. Un univers auquel il appartenait si peu qu'il lui est même arrivé de refuser d'assister à des Victoires de la musique où il était récompensé. Alors, pour échapper à l'acharnement médiatique, et par respect pour les différents protagonistes du drame, le groupe s'est retiré dignement.
Deux ans après, Noir Désir décide de rompre le silence. Dans leurs nouveaux bureaux de la banlieue bordelaise de Bègles (ils ont dû quitter leur ancien local après avoir surpris des journalistes en train de fouiller leurs poubelles), les trois musiciens répondent sans détour aux questions. Denis Barthe, le batteur, est toujours aussi loquace. Le guitariste Serge Teyssot-Gay et le bassiste Jean-Paul Roy, plus réservés, n'interviennent que pour appuyer ou préciser les propos de leur camarade. Contrairement à ce qu'on appréhendait, l'ambiance est détendue et l'humour pas en berne.
Télérama : Comment avez-vous vécu les deux années qui se sont écoulées ?
Noir Désir : Nous les avons subies, avec l'impression que tout se déroulait à l'envers... Nous avons toujours imprimé notre direction, notre façon de faire, de penser, de jouer nos morceaux, de dialoguer avec notre maison de disques. Nous avons toujours été maîtres de ce que nous entreprenions. Et là, pour la première fois, tout nous échappait. Nous sommes passés à la moulinette d'une presse que nous ignorions depuis vingt ans. Peut-être nous l'a-t-elle fait payer.
Télérama : Pourquoi publier un album aujourd'hui ?
Noir Désir : A l'époque de Vilnius, nous avions commencé à sélectionner des morceaux enregistrés au cours de la tournée, en vue d'un album en public. Nous avons toujours dit que lorsque Bertrand serait jugé et qu'il aurait commencé à purger sa peine, nous discuterions ensemble des travaux entamés avant Vilnius. Finalement, nous sommes tombés d'accord tous les quatre qu'il nous fallait retrouver quelque chose de positif.
Télérama : Comment avez-vous procédé ?
Noir Désir : Nous voulions impliquer Bertrand dans ce travail. Nous avons obtenu du ministère de la Justice l'autorisation de faire deux écoutes collectives des chansons à la prison de Muret (Haute-Garonne), où il est incarcéré. Nous nous sommes mis d'accord sur le choix des morceaux, Bertrand a juste voulu retoucher deux ou trois choses sur ses parties de guitare ou sur la fin de certaines chansons. Ces séances nous ont tous bouleversés, d'autant que ces enregistrements nous ont rappelé que, pour la première fois, nous étions revenus sereins d'une tournée et pensions déjà au prochain album. D'habitude, nous sommes lessivés, nous n'avons plus envie de nous voir et aspirons à faire autre chose. Cette fois-ci, nous avions pris un énorme plaisir à jouer ensemble et atteint un niveau qui nous permettait de bien malaxer notre vocabulaire musical et d'improviser. Quant à Bertrand, il vivait quelque chose de fort, tant du côté personnel qu'au sein du groupe. Il était heureux, et ça se sent dans sa façon de chanter sur le disque.
Télérama : La parution de cet album n'est-elle pas motivée par des raisons financières, entre autres pour dédommager les parties civiles du procès ?
Noir Désir : A ce jour (1), personne n'a fait la moindre demande d'indemnités, à part la compagnie d'assurances de la production du téléfilm Colette, une femme libre. Cela dit, il est étonnant que la production fasse une telle demande avant les quatre enfants de Marie Trintignant. Quant à nous, nous ne sommes pas dans la précarité. Nous avons eu tous les trois des propositions de collaborations que nous nous sommes permis de refuser parce qu'elles ne nous intéressaient pas musicalement.
Télérama : Craignez-vous des réactions hostiles à l'occasion de la sortie de votre disque ?
Noir Désir : Nous y ferons face. A ceux qui trouveraient indécente la parution de cet album, nous répondrons que nous avons attendu deux ans avant de commercialiser quoi que ce soit. Non seulement nous avons respecté une période de deuil, mais nous avons fait le nôtre.
Télérama : Comment allez-vous désormais exercer votre métier de musiciens ?
Noir Désir : En travaillant sur des projets parallèles au groupe, comme nous l'avons toujours fait. Nous avons du temps devant nous. Nous sommes... libres. Serge Teyssot-Gay prépare un second album avec le joueur d'oud syrien Khaled Al Jaramani, travaille avec le trio électrique Zone Libre et réfléchit à une collaboration avec le groupe rap La Rumeur. Jean-Paul Roy s'est embarqué dans une longue tournée avec Yann Tiersen. Et moi [Denis Barthe, NDLR], je viens d'achever la production du dernier album des Têtes Raides, et nourris des projets personnels que Noir Désir ne me laissait guère le temps de mener à bien.
Télérama : Combien d'albums devez-vous encore contractuellement à votre maison de disques ?
Noir Désir : Un seul. Mais elle nous a assuré que si le disque ne se faisait pas, elle ne le réclamera pas. Depuis Vilnius, Barclay s'est comporté plus en ami qu'en maison de disques.
Télérama : Ce drame a-t-il réellement dopé vos ventes de disques ?
Noir Désir : Pendant le mois d'août 2003, nous avons vendu 1 200 albums. Un an avant, sur la même période, nous en avions vendu 800. Alors oui, nos ventes ont explosé... en pourcentage. Encore un fantasme !
Télérama : En avez-vous voulu à Bertrand Cantat d'avoir mis le groupe en péril ?
Noir Désir : Lui le pense. Mais il nous est impossible de réagir ainsi. Comment pourrions-nous l'accabler davantage ? Même si ça fait vingt-cinq ans que nous sommes ensemble et, qu'avant d'être un business, Noir Désir est une histoire de potes, ce n'est pas le groupe qui purge la peine de Bertrand. Le drame de Vilnius a tout remis en question, sauf notre amitié.
Télérama : Comment Bertrand vit-il sa détention ?
Noir Désir : A Vilnius, il était enfermé vingt-trois heures sur vingt-quatre. A Muret, il se retrouve dans des conditions de détention normales. Il peut aller à la bibliothèque, jouer au foot, manger avec les autres. Il a une guitare, comme tout détenu en a le droit. Mais pour le moment, il ne crée pas. Nous le voyons chacun une fois par mois, mais nous n'avons pas envie d'en parler. Lire des trucs dans la presse sur sa vie en prison ne l'aiderait pas à se reconstruire.
Télérama : Serge Teyssot-Gay a déclaré au journal Le Monde : « Nous serons là quand notre pote sortira. S'il a envie de jouer, on jouera. En attendant, nous travaillons à l'intérieur des murs. » Cela signifie-t-il par correspondance avec Bertrand ?
Noir Désir : Non, c'est inenvisageable. Il est déjà interdit de faire passer des disques aux détenus ! Travailler à l'intérieur des murs, pour nous, ça signifie garder le contact avec lui. Mais pour faire notre musique, créer ensemble, nous avons besoin de nous retrouver tous les quatre dans la même pièce. Ce serait glauque de travailler à distance sans Bertrand. Et puis, il y aurait un côté déplacé à forcer une porte qui est fermée.
Télérama : Peut-on encore parler de Noir Désir au futur ?
Noir Désir : Généralement, après une tournée, nous arrêtions, sans savoir si l'histoire aurait une suite. Et puis au bout de quelques mois, l'un d'entre nous appelait les autres, nous nous retrouvions autour d'une table et discutions de l'avenir. Tant que nous ne pourrons pas nous retrouver autour d'une table, si possible avec un rayon de soleil pour égayer le tableau, il n'y a pas d'avenir envisagé ou non envisagé. Une seule chose est sûre : Noir Désir n'est pas mort. Ce groupe, c'est vingt-cinq ans de notre vie. Ça ne va pas s'arrêter comme ça !
Propos recueillis par Frédéric Péguillan
(1) L'entretien a eu lieu le 20 juillet 2005.
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